Chronique 104 – Refuser la résignation, cultiver les possibles

 

On le savait depuis juin, la rentrée allait s’inscrire sous le signe de l’austérité. Déjà, l’année scolaire précédente avait débuté avec un plafonnement des budgets d’investissement. Deux autres restrictions budgétaires se sont ajoutées au cours de l’année 2024-2025, soit le gel d’embauche et le plafonnement des heures travaillées. Dernière pièce de ce triste édifice austéritaire, l’année se concluait sur des annonces de compressions : 570 M$ pour le primaire-secondaire et 151 M$ pour le collégial. Dans le réseau universitaire, le portrait demeure encore difficile à tracer, mais dans la mesure où les crédits budgétaires ont été réduits et que l’effectif étudiant est globalement en hausse malgré les contraintes importantes limitant la présence d’étudiant∙es provenant de l’international, on voit clairement les mêmes tendances à l’œuvre.

S’il faut saluer la vigoureuse mobilisation citoyenne du mois de juin, qui a forcé la Coalition Avenir Québec (CAQ) à annoncer en catastrophe un réinvestissement conditionnel de 540 M$ au primaire-secondaire, reste que les effets négatifs, eux, demeurent.

Nous, qui avons obtenu plusieurs gains à force de grèves, avons-nous déshabillé Pierre pour habiller Paul ? Prétexte-t-on les augmentations salariales qu’on nous a données d’une main pour ensuite nous appeler à la résignation lorsqu’on nous impose des contraintes (plus d’élèves par groupe, moins de ressources matérielles et humaines, etc.) de l’autre main ? Les discours de la CAQ semblent aller en ce sens, mais leur donner raison serait la plus grave des erreurs !

Rester passifs devant la vague austéritaire qui nous frappe impliquerait d’accepter que les conditions matérielles avec lesquelles nous enseignons se dégradent, avec toutes les conséquences négatives que cela engendre pour les élèves et les étudiant∙es ainsi que sur notre propre prestation de travail. N’est-il pas ironique de voir certains s’extasier devant l’expansion rapide du nombre de classes (voire d’écoles) modulaires, climatisées et bien équipées, afin de faire oublier un désinvestissement massif dans les structures ? Tolérer cette dégradation des conditions financières pour nos réseaux d’éducation et de l’enseignement supérieur impliquerait nécessairement de cautionner peu à peu ces dommages, parfois irréversibles, tant pour la qualité de l’éducation (par exemple en modérant nos attentes pour les calibrer aux moyens insuffisants dont nous disposons) que pour l’accessibilité aux études (en acceptant que toustes n’auront pas les conditions pour réussir). Cette posture de passivité, où nous nous effacerions graduellement derrière un cadre dicté par des impératifs financiers plutôt que par les besoins des personnes et de la société, est toxique pour nous et délétère pour nos institutions.

Nous ne sommes pas des robots. Notre enseignement est et se doit d’être incarné. Nous n’enseignons pas dans une bulle, mais dans un monde complexe, où les connaissances scientifiques, les valeurs, les affects et les rapports politiques s’entremêlent. C’est justement cette complexité que l’éducation permet d’apprivoiser. Pour y parvenir, les conditions doivent être réunies : du temps pour discuter, de la disponibilité pour écouter et s’adapter, et de la liberté pour permettre à tous et toutes de créer un espace empreint de sens. Dans le contexte actuel, face au projet réducteur d’une éducation sous-financée, ces conditions s’effritent, et ne seront retrouvées que si l’on exerce une résistance enthousiaste et vigoureuse.

Cette capacité à refuser le fatalisme, c’est surtout la capacité à cultiver l’idée que d’autres mondes, d’autres modes de vie, d’autres formes de vivre ensemble sont possibles, bref, à cultiver l’imagination, la créativité et l’espoir. Rappelons-le : le filet social, dont notre système d’éducation tricote plusieurs pans, est le fruit de mouvements sociaux, de luttes syndicales et de prises de paroles audacieuses.

Dans le contexte austéritaire, la résistance est donc d’abord et avant tout un geste positif d’affirmation : affirmation qu’un meilleur partage de la richesse est possible, qu’en de nombreux cas la collégialité est préférable à la hiérarchie, et que la parole citoyenne dépasse largement l’urne électorale. Si l’on prend au sérieux la mission d’éducation citoyenne à travers les programmes d’études, on verra dans la mobilisation enseignante un geste cohérent avec la mission des écoles, des collèges et des universités. Ainsi, au risque de déplaire, mobilisons-nous ! Parlons, agissons, et poussons nos administrations à explorer les leviers insoupçonnés dont elles disposent pour retrouver les moyens de nos ambitions collectives. Si cette posture semble s’opposer au train train quotidien de la production de diplômé∙es, on peut y voir justement une expérience authentique d’apprentissage citoyen.

Osons parler de nos conditions de travail. Osons signaler les bris de services. Osons dénoncer les entraves à la liberté académique. Osons enseigner les failles et les inégalités du système actuel. Osons mettre en question les finalités délétères de ce système. C’est, par exemple, ce que fait le mouvement citoyen « Uni.es pour l’école », qui regroupe parents, élèves et étudiant·es ainsi que des membres du personnel scolaire mobilisés contre les compressions récentes en éducation. C’est aussi ce que nous pouvons faire au quotidien en nous impliquant dans nos milieux et dans nos syndicats !

L’éducation prend son sens le plus riche à travers certaines oppositions génératrices de sens. Ainsi, pour à la fois défendre ce qui nous tient à cœur et protéger le droit des générations futures à une éducation de qualité, la résistance est non seulement légitime, mais nécessaire.

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca