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Chronique 9 – Réflexion sur l’accommodement raisonnable

Un dédale de questions

Octobre 2007 – Rien de simple dans cette vaste entreprise de réflexion sur les «accommodements» instaurée par le gouvernement Charest en réponse aux interrogations de plus en plus grandes des citoyennes et citoyens concernant des décisions visant à satisfaire des demandes exprimées en matière de pratique religieuse.

Comme on peut le lire dans le document de consultation de la Commission Bouchard-Tremblay, celle-ci pouvait aborder son mandat de deux façons. Ainsi, il aurait été possible de s’en tenir à la dimension de «l’accommodement raisonnable», dimension juridique, ou de «l’ajustement concerté», recherche mutuelle et concertée d’un arrangement, en s’interrogeant sur le caractère raisonnable ou acceptable de ceux-ci. Elle a opté pour une seconde façon qui voit dans le débat suscité «le symptôme d’un problème plus fondamental concernant le modèle d’intégration socioculturelle qui a cours au Québec depuis les années 1970». Elle a donc pris le chemin le plus difficile, le plus complexe et le plus susceptible de soulever les nombreuses questions qui animent la vie en société: l’altérité, la place de la religion, la laïcité des institutions, l’immigration, la frontière des droits individuels et collectifs et, non la moindre, l’identité québécoise et ses valeurs.

D’aucuns y voient un grand dérapage qui monte en épingle des cas marginaux, laisse croire à une crise là où il n’y en aurait pas et lance une controverse qui dépasse largement l’enjeu posé par les demandes exprimées ici et là. Les cas de discrimination pour motifs religieux portés devant la Commission des droits de la personne ne constitueraient que 2% des plaintes, loin derrière les motifs de handicap (24%) ou les motifs de race (15%). Cela justifie-t-il une opération d’une telle envergure? D’autres saluent l’initiative et considèrent qu’il faut faire le point en matière d’intégration culturelle sous peine de sombrer dans pire: il y a des problèmes de fond que notre société devrait avoir le courage d’aborder de front.

La Commission a probablement eu raison de penser que le débat déborderait de toute façon. Mais elle invoque aussi le fait que la question de l’accommodement, au sens des droits et libertés, vise d’abord des individus qui ne peuvent les exercer s’il n’y a pas d’ajustement, cette perspective individuelle appelant une décision cas par cas. Le fait que les pratiques d’accommodement aient «débordé le cadre individuel pour revêtir une dimension collective», ce que la Commission qualifie de «glissement», l’incite à élargir la problématique. À savoir si on nous pose les bonnes questions dans ce contexte, difficile de répondre…

Certes, les dérives sont faciles et ce genre de tribune ouvre un espace aux propos à saveur raciste ou qui relèvent tout simplement de l’ignorance. On entend, par ailleurs, beaucoup que l’immigration est nécessaire, les Québécoises ayant un des plus bas taux de fécondité. Que l’on soit pour l’inclusion, l’intégration ou l’assimilation, une laïcité ouverte ou fermée, l’essentiel est que l’on se garde d’«instrumentaliser» l’immigration, c’est-à-dire de n’y voir qu’un outil au service du Québec en mal de main d’œuvre. Accommodement ou pas, les nouveaux arrivants sont des citoyens et citoyennes qui vivent avec nous et non pour nous.
Le rôle des établissements publics d’enseignement

C’est une des préoccupations dans cette opération que d’éclairer les institutions publiques, qu’il s’agisse des hôpitaux, des établissements d’enseignement, des services gouvernementaux et autres, quant à leurs obligations à l’égard des demandes «d’accommodements» et aux comportements qu’elles devraient privilégier.

Le système public d’éducation est ainsi dans la ligne de mire et bien des accommodements ou ajustements réclamés, consentis, ou même virtuels, dans les établissements d’enseignement en irritent plus d’un: le port du voile, le kirpan, les lieux de prière, les demandes d’exemption pour fêtes religieuses, la mixité dans les piscines, l’exemption des cours d’éducation physique, et possiblement des cours de morale ou de philosophie. La liste est sans doute sans fin. Cela demeure toutefois des cas relativement isolés qui ne semblent pas avoir remis en cause le fonctionnement général des établissements à ce jour.

Des ajustements concertés existent déjà sans que cela ne semble causer préjudice aux institutions concernées. Mais quelle est la limite au-delà de laquelle le refus d’accommoder constitue une réponse raisonnable? Certains diront qu’on se situe dans l’ordre du sacré, qui confère à des objets, ou à des gestes visibles, un caractère absolu, non négociable pour celles et ceux qui les réclament dans les lieux publics. On peut recouvrir le kirpan, mettre un bandana au lieu du voile, leur dimension symbolique demeure tout entière. Pour d’autres, le voile n’est qu’une marque de soumission ou le kirpan une invitation au port d’une arme blanche. L’appel à la raison oblige à sortir de l’univers symbolique, à relativiser, à transiger, à déterminer ce qui est acceptable de part et d’autre du point de vue de l’institution et de la société. Est-ce possible et comment? La pratique religieuse peut-elle à la fois appartenir à la sphère du privé et exiger d’être visible dans les espaces publics? À cela, il n’y a pas de réponse simple.

S’ajoute en ce qui concerne l’école tout le questionnement sur la mission de l’institution : socialiser, instruire, former de futurs citoyennes et citoyens. L’accommodement entrave-t-il ce rôle? Est-ce qu’il le pervertit? Détourne-t-il des ressources de leur fin, par exemple dans le cas des locaux pour la prière? Cela touche autant les professeurs que les élèves. Par exemple, on a par le passé beaucoup insisté sur la nécessité d’avoir plus d’hommes au primaire et plus de femmes dans les universités, ou encore dans différentes disciplines, en invoquant le fait qu’elles et ils constituent des modèles qui influent sur les choix de vie, de valeur des jeunes. Permettre le port de signes religieux chez les enseignantes et enseignants est-il compatible avec ce rôle qu’ils ont auprès des jeunes dans une institution laïque? Doit-on mettre toutes les manifestations religieuses dans la même barque? Et que faire des manifestations qui ne sont pas religieuses, mais ostentatoires, publicité, marques de commerce, parti pris politique? Le terrain est glissant et la question devrait peut-être relever beaucoup plus d’une éthique générale de la profession qui trace les bases incontournables de ses exigences à l’égard des jeunes. Là encore, c’est un appel à la raison, mais aussi à des principes qui ont marqué des décennies de lutte. On pense par exemple à l’égalité des sexes.

Par ailleurs, Yolande Geadah¹ soulève des questions qui nous portent à réfléchir. Un jeune qui marque sa différence religieuse et se distancie ainsi des autres arrivera-t-il à s’intégrer? Mais on peut aussi se demander si le refus collectif et convenu de cette marque n’hypothéquerait pas au départ toute possibilité d’intégration. A-t-on par exemple plus de chance de favoriser l’intégration culturelle si on permet des manifestations religieuses à l’école que si on les interdit?

Un projet de mémoire de la CSN a été soumis au conseil confédéral des 19-21 septembre lequel sera discuté au bureau fédéral de la FNEEQ au début d’octobre. Ce mémoire pose notamment la question de l’immigration, de son contrôle et de la façon de mieux intégrer les travailleuses et travailleurs immigrés. Il suggère aussi que soit instituée une Charte de la laïcité au Québec. Cela situe le débat sur la place de la religion dans les institutions publiques et a fortiori dans les lieux d’enseignement. S’ouvre ainsi dans nos rangs un chantier de réflexion qui nous interpelle directement en tant qu’enseignantes et enseignants. Il trouvera vraisemblablement écho dans toutes les instances, notamment au conseil fédéral de la FNEEQ en décembre 2007.


  1. On trouvera, entre autres, dans le rapport Stasi et dans le livre de Yolande Geadah, devenu un «best-seller» en cette période de réflexion, une description des divers modèles, notamment français, états-unien, turc, anglais, qui tentent de répondre à leur manière, et dans des contextes sociologiques et religieux fort différents, à la réalité du côtoiement et de l’intégration des cultures. Le rapport Stasi peut être lu sur le site de La documentation française. Quant au petit livre de Yolande Geadah, Accommodements raisonnables. Droit à la différence et non différence des droits, VLB éd., Montréal, 2007, il constitue une base de réflexion très intéressante pour s’approprier le sujet des accommodements dans une perspective de laïcité ouverte. Cela ne lève toutefois pas entièrement le «voile» sur l’enjeu, comme le montre la chronique de Michèle Ouimet dans La Presse du 16 septembre 2007.
  2. Lire aussi au sujet de l’accommodement raisonnable en milieu de travail le Bulletin d’informations juridiques de la CSN.