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Chronique 6 – La reconnaissance syndicale

Une lutte de tous les instants

Mars 2007 – Quelle que soit l’analyse du résultat des récentes élections au Québec, la mixture PLQ/ADQ n’augure rien de bon d’un point de vue syndical. Les syndicats constituent non seulement un obstacle de taille à la libre majoration des profits dans le secteur privé, mais ils s’opposent aussi systématiquement à ce que des services publics soient cédés au privé. Pour un gouvernement néo-libéral qui vise le «moins d’État», le mouvement syndical est un ennemi. Il ne s’est d’ailleurs pas gêné, quitte à être condamné par le Bureau international du travail, pour utiliser le décret comme mode de négociation!

Cette tendance antisyndicale, que des élus tentent aussi de répandre dans le public avec le concours de certains éditorialistes de droite, ne se remarque pas qu’au niveau national. Elle trouve son pendant dans plusieurs établissements d’enseignement, au cœur même du système scolaire, où trop d’équipes de direction cherchent à contourner la légitimité de la représentativité syndicale.

La reconnaissance syndicale: une lutte de tous les instants
Pourtant, la question de la représentativité syndicale dans le monde de l’éducation est cruciale et a peut-être une portée plus grande que dans d’autres domaines. Déjà, à titre de professionnels, les enseignantes et les enseignants peuvent prétendre à une prise plus importante sur l’organisation et l’exercice de leur travail. Mais il faut aussi constater que, dans le domaine de l’enseignement, la proximité est telle entre la qualité de ce que l’on peut faire et les conditions de travail, qu’on ne peut les dissocier véritablement. Dès lors devrait s’ imposer, dans les établissements scolaires, un respect authentique du syndicat des enseignantes et des enseignants, à titre d’interlocuteur incontournable dans les débats et prises de position susceptibles de les concerner.

En réalité, en ce qui a trait au respect de la représentativité syndicale, nous sommes loin du compte. Curieusement, ces professeurs qu’on qualifie, au discours de la rentrée, de «remarquables artisans de la mission éducative» ou «d’extraordinaires et dévoués éducateurs formant le cœur de notre collège/école», semblent devenir des obstacles au développement institutionnel dès qu’ils expriment, par la voie de leur syndicat et par le fait même de leur assemblée, des visées différentes de celles de l’administration.

Ainsi signale-t-on, à plusieurs endroits dans le réseau des cégeps, des administrations qui ne reconnaissent pas la représentativité du syndicat des enseignantes et des enseignants et tentent de la contourner.

Les tactiques sont diverses. Il peut s’agir d’une attaque frontale, comme celle que subit le syndicat de F.-X. Garneau où la direction cherche par tous les moyens à écarter l’influence syndicale des professeurs à la Commission des études, quitte à remettre en question un arrangement local dûment signé il y a plusieurs années. Il peut s’agir de pratiques d’évitement, comme à Limoilou, où l’on prétendra mettre en place des «programmes», pour contourner l’obligation existante de consulter lorsque des «politiques» sont élaborées. Il peut s’agir enfin, comme à Montmorency, de consultations obtenues de haute lutte par la partie syndicale, mais à la suite desquelles la partie patronale ne concédera que quelques points mineurs, sans toucher aux questions de fond, malgré une contre-proposition importante de la part du syndicat. On peut ainsi prétendre avoir consulté!

On trouve à la base, dans tous ces cas, le même déni d’une représentativité syndicale dont la pertinence ne devrait pourtant plus être à démontrer. Déni qui se manifeste aussi dans plusieurs établissements privés où la reconnaissance syndicale pleine et entière est rare, de même que dans les universités, les chargé-es de cours étant le plus souvent laissés pour compte, notamment quand il s’agit de façonner les axes de développement de la vie universitaire.

Un acquis à préserver
La légitimité de la représentativité syndicale est double.

Elle est d’abord fondée sur l’évidence qu’un groupe de personnes, quel qu’il soit, ne peut exercer une influence réelle que dans la mesure où il est organisé. Dans une école ou un collège, tout changement d’importance devra être mis en œuvre par les professeurs et, comme l’a souligné notamment le Conseil supérieur de l’éducation, l’adhésion de ces derniers est un facteur incontournable de réussite. Dès lors, les changements envisagés doivent reposer sur l’expertise concertée de ceux-ci, dans un processus de discussion, d’échange et de débat qui permet une démarche véritable d’appropriation, de partage et de critique constructive. Il faut prendre le temps d’analyser la pertinence, les objectifs et les modalités d’un projet pour le voir véritablement s’enraciner dans un milieu.

La collecte d’opinions individuelles ne peut s’y substituer. Tenir un groupe pour consulté parce qu’on s’est adressé à quelques individus – choisis! – relève du simulacre. Il doit y avoir une forme convenue de consultation et elle doit obtenir l’assentiment de tous.

Le second fondement de cette légitimité de la représentativité syndicale, c’est l’effet absolument déterminant des conditions de travail sur la qualité de l’enseignement. De la taille des classes à l’accès aux ordinateurs, des conditions de perfectionnement à la pertinence des politiques diverses auxquelles il faut se conformer, l’environnement éducatif détermine la portée et la qualité de nos interventions auprès des élèves.

Un facteur de dynamisme
Plusieurs directions ne semblent pas avoir compris qu’elles gagneraient à agir autrement. Cette obstination vient sans doute en partie du fait que reconnaître la légitimité d’un interlocuteur oblige à admettre la nécessité de négocier, ce qui implique parfois de plus longues discussions, occasionnellement des tensions et, souvent en bout de course, des changements par rapport aux plans initiaux. Mais il s’agit des conditions à remplir pour en arriver à des positions acceptables pour les uns et les autres.

Le dossier de l’évaluation des enseignements est révélateur à cet égard. La convention collective des cégeps comporte une lettre d’entente qui, sur cette matière, invite explicitement les parties à s’entendre. Malgré cela, plusieurs directions tentent d’agir unilatéralement, inconscientes des dommages générés par cette approche en termes de bris de confiance. Elles contribuent de cette manière à créer un climat qui ne pourra que s’envenimer.

Nos positions syndicales sur l’évaluation, qui devraient être adoptées au Conseil fédéral de juin à la FNEEQ, sont très imprégnées du souci de respecter sur cette question délicate les cultures et la situation de chaque syndicat. La FNEEQ a de nombreuses réserves sur l’évaluation systématique des enseignements, positions qui prennent racine dans une connaissance intime du milieu de travail, mais qui sont également l’écho de positions prises par des pédagogues réputés, très conscients des limites des systèmes d’évaluation¹.

Ce qui importe ici, c’est le constat que pour un trop grand nombre de nos syndicats qui partagent ces réserves, il semble difficile, voire impossible, de trouver de la part des gestionnaires une écoute attentive et sérieuse, ainsi qu’une volonté politique d’en tenir compte. Comme si les enseignantes et les enseignants, par leurs mises en garde contre les dérapages d’une évaluation mal pensée, visaient autre chose que de préserver la qualité des enseignements. Comme si l’évaluation systématique constituait la seule voie d’amélioration… et comme si la stagnation des conditions de travail, au cours des dernières années, n’avait rien à voir avec la qualité!

  1. Citons à titre d’exemple L’évaluation des enseignants : entre une impossible obligation de résultats et une stérile obligation de procédure, de Philippe Perrenoud