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Chronique 72 – La gouvernance des universités québécoises, de collégiale à managériale!

Le comité école et société était présent au congrès de l’ACFAS qui se tenait du 9 au 13 mai dernier à l’UQÀM, plus particulièrement au colloque De ladministration à la gouvernance des universités: progrès ou recul? Cet événement, organisé par Louis Demers (ÉNAP), Jean Bernatchez (UQAR), Martin Maltais (UQAR) et Michel Umbriaco (TÉLUQ), avait pour but de rendre compte des transformations de l’université québécoise et de réfléchir sur son avenir.

La gouvernance des universités québécoises, de collégiale à managériale!

Selon Louis Demers, le terme de gouvernance, qu’il qualifie de concept magique difficile à saisir, est désormais employé à toutes les sauces pour décrire la nouvelle gestion universitaire dont le processus de gouverne est désormais hiérarchique, autoritaire, diffus et très complexe. En complète rupture avec une tradition de collégialité historique qui existait jadis, de manière bien souvent inégale, entre les membres de la communauté universitaire, les nouveaux administrateurs gèrent l’université comme une usine. Demers dénonce fortement une tendance autoritaire dans la direction des universités, qui se relie aux principes de la gouvernance et du phénomène croissant de corporatisation.

Il affirme que la nouvelle conception individualiste de la gestion managériale et son impact sur les universités est un échec. Ce résultat désastreux a été causé par la transformation du financement des universités, l’essor de la recherche sponsorisée par les entreprises, la professionnalisation des établissements d’enseignement supérieur et le phénomène de précarisation des emplois. La logique de la nouvelle gestion publique, en ayant recours à des cadres administratifs, ne relève plus de l’université en tant que telle, mais provient de l’extérieur.

L’université a de nouveaux proprios!

Vincent Carpentier, qui a recensé dans son allocution les périodes clés de l’histoire de l’enseignement supérieur, parle de crise de la massification de l’enseignement et de la gouvernance publique. Il dénonce la transformation de l’université comme bien public en bien privé, alors que la recherche dont le but est de réaliser des profits devient la plus valorisée et la plus subventionnée. Max Roy, professeur et ancien président à la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), parle, quant à lui, d’une université «déformée», «profitable pour les cadres» et dénonce la «subordination» de tous les personnels à ces derniers. D’une part, il note une augmentation du nombre de cadres (ainsi que de leur masse salariale) et, d’autre part, une diminution et une précarisation des corps enseignants. Les professeures et professeurs, comme les autres personnes employées, se trouvent de plus en plus absents de la gestion à laquelle elles et ils sont assujettis.

Des conceptions d’universités en mutation!       

La conception de l’université se transforme avec le temps, selon le sociologue Jean Bernatchez. Cette institution a d’abord servi à:

Cependant, les changements actuels au sein des universités sont rapides et guidés par une volonté utilitariste et normative, axée sur la profitabilité. La nouvelle conception de l’université perd sa fonction de service public pour la remplacer par une vision entrepreneuriale basée sur l’économie du savoir qui s’adapte de manière proactive au marché mondial de la réputation universitaire. Depuis 1995, domine le modèle de la triple hélice¹, qui concerne les transformations relationnelles entre université, industrie et gouvernance. Par conséquent, la référence à une «république du savoir» parait de moins en moins appropriée. L’évaluation ne se fait plus par les pairs, on préfère maintenant avoir recours à des gens de l’extérieur dont les critères relèvent surtout d’une efficacité mesurable et des bonnes performances économiques.

La gestion hiérarchique, la judiciarisation des relations de travail et l’asymétrie entre les établissements et disciplines créent de nouvelles iniquités. Martin Maltais, professeur à l’UQAR, illustre bien le contexte de «féroce compétition» issu du contexte de précarité financière depuis les années 1990. La dépendance accrue entre les partenaires et les directions annonce ainsi la fin de l’autonomie universitaire. La valorisation de la recherche ciblée détruit les possibilités de recherche libre. Les chercheurs parlent d’instrumentalisation des enseignantes et enseignants pour obtenir des fonds de recherche.

Que voulons-nous comme universités?

Il est certes important de dénoncer les tares de l’université aujourd’hui, mais il faut aussi définir ce qui serait souhaitable pour elle. La gestion managériale est l’ennemie de la collégialité et il est nécessaire de mettre de l’avant d’autres formes de «gouvernance». Il faut intégrer toute la communauté universitaire aux processus décisionnels. En attendant, nous constatons toujours les impacts dévastateurs du fondamentalisme managérial et ses résultats désolants: moins de cours et moins de programmes et donc diminution du spectre des savoirs enseignés, surcharge de travail pour toutes et tous, plus d’étudiantes et d’étudiants par cours, contractualisation des enseignantes et enseignants et des personnes employées de soutien, gaspillage de fonds publics en publicité pour attirer les clientèles internationales, etc.

Alors, comment sauver l’université? La communauté universitaire doit se mobiliser, se coaliser. Elle doit revenir aux missions fondamentales de l’université: enseignement, recherche-création et services aux collectivités. C’est à partir de ce constat que doit s’amorcer la réflexion que nous développerons pendant les États généraux sur l’enseignement supérieur (EGES) en mai 2017, alors que nous tenterons, entre autres, de définir ce que nous voulons comme université.

Des syndicats, des associations étudiantes et des groupes communautaires se concertent actuellement pour organiser les EGES, à l’initiative de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN). L’événement, qui aura lieu au printemps 2017, sera d’ailleurs précédé d’un atelier d’organisation dans le cadre du Forum social mondial², du 9 au 14 août 2016 à Montréal, auquel la FNEEQ enjoint tous ses militantes et militants à participer. Le rendez-vous est donné, soyons nombreux pour dire quelle université nous voulons! Soyons-y!

Le comité école et société

On peut contacter le comité école et société par courriel à l’adresse: cesfneeq@csn.qc.ca

  1. Pour une description de ce modèle, lire Martino Nieddu, «Modèle de la triple hélice et régulation du changement régional: une étude de cas», [en ligne], http://www.univ-reims.fr/site/laboratoire-labellise/laboratoire-d-economie-et-gestion-de-reims-regards-ea-6292/contrats/gu-rmse/gallery_files/site/1/1697/3184/5292/11062.pdf (page consultée le 2 juin 2016).
  2. Pour en savoir plus : http://fneeq.qc.ca/fr/forum-social-mondial-2016/ .