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Sur le projet de modifications de la gouvernance des universités

POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE ?

Le vendredi 27 février 2009, à l’initiative du SÉTUE, du SEUQAM, du SCCUQ et de huit associations étudiantes, un important débat s’est tenu sur le projet de modifications de la gouvernance des universités. Ce débat réunissait d’une part, Gilles Gagné, professeur de l’Université Laval, et Marie Blais, chargée de cours à l’UQAM et vice-présidente de la FNEEQ (CSN), ainsi que, d’autre part, les experts en gouvernance soit Jean-Marie Toulouse et Yvan Allaire.

L’importance du débat ne tenait pas seulement au nombre de personnes participantes en provenance du milieu et des syndicats, mais davantage au contenu des échanges, alors que les experts en gouvernance était en mode défensif, comme en témoigne le reportage de Claire-Andrée Cauchy dans le journal Le Devoir du lendemain. Nous publions ici le contenu de la présentation de Marie Blais.

Le projet de loi 107 propose à la fois une centralisation du pouvoir vers le conseil d’administration et le remplacement de membres issus de l’organisation interne à l’établissement par des membres de provenance externe. En proposant de renforcer le pouvoir de quelques administrateurs et en imposant une gouvernance hiérarchique plus centralisée, ce projet de loi entre en contradiction avec une longue tradition universitaire où la collégialité domine.

La Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) et les syndicats de chargées et chargés de cours affiliés ne partagent pas cette vision de l’université. Ils croient, au contraire, qu’il ne faut pas diminuer mais renforcer la collégialité. L’ensemble de la communauté universitaire, locale ou régionale doit être représenté au CA et ainsi participer au processus décisionnel. C’est cette collégialité qui assure la légitimité et la transparence nécessaires au processus décisionnel, alimente le sentiment d’appartenance des membres et contrôle la dérive instrumentaliste de l’université, et ce, afin de préserver l’intégrité de la mission universitaire.

Premier changement majeur : la composition du Conseil d’administration

Pour l’ensemble des universités du Québec, le projet de loi uniformise la composition du Conseil. Il devra y avoir autant de femmes que d’hommes et deux tiers des membres devront être indépendants, c’est-à-dire non reliés personnellement ou professionnellement avec l’établissement, alors que le dernier tiers proviendra de la communauté universitaire.

Pourquoi deux tiers de membres indépendants?

Selon le rapport Toulouse, les représentants provenant de l’interne seraient continuellement en conflit d’intérêts, ne défendraient que les intérêts de leur groupe et seraient incapables de penser au bien commun (pages 13 et 37). Les commentaires du rapport Toulouse concernant les membres internes relèvent plus de l’ordre de la perception que des faits. Les membres internes ont eux aussi une certaine perception du rôle des membres externes: ils proviennent généralement du milieu des affaires et saisissent mal la réalité universitaire. Ils sont souvent absents et approuvent les décisions en posant peu de questions. À l’inverse, les questions des divers représentants de la communauté démontrent une connaissance de l’institution, forçant souvent les directions universitaires à livrer l’information sur les dossiers importants. L’exemple le plus probant est celui de l’UQAM. En 2006 et en 2007, le SPUQ et les associations étudiantes se sont dressés contre le projet de l’Ilôt Voyageur.

Par ailleurs, je comprends que le groupe de travail, composé majoritairement de dirigeants universitaires, veuille éliminer des membres issus de l’interne, car cette situation équivaudrait à se donner carte blanche.

La cooptation comme mode de nomination des membres du Conseil

Avec le projet de loi, le Conseil fixerait le profil d’expérience et d’expertise de ses membres. Tous les membres indépendants seraient nommés à la suite des recommandations du conseil. Comme les membres provenant de l’externe seraient majoritaires, le même milieu risquerait d’être surreprésenté. On est loin d’un conseil diversifié et représentatif! En plus de cette cooptation qui se pratique dans les organismes privés, ces membres indépendants fixeraient aussi leur rémunération. En d’autres termes, bar ouvert pour la république des copains, je dirais plutôt pour la république des requins.

Le conseil d’administration d’une université tire sa légitimité de sa représentativité. Il doit faire écho à l’ensemble de la communauté universitaire. Cette exigence s’applique également aux membres externes du Conseil. Ces derniers doivent refléter les diverses composantes de la communauté dans laquelle s’inscrit l’université.

En ce qui a trait à la représentation des membres provenant de l’interne, le projet de loi laisse le soin à la communauté de fixer ses représentants. L’arbitrage devra donc se faire au sein de la communauté. Étant donné la définition que donne le projet de loi de la communauté universitaire, la place des chargées et chargés de cours au sein des conseils d’administration est loin d’être précisée. Bataille en vue!

Changement dans le rôle et les pouvoirs du conseil d’administration

Le Conseil sélectionnera le premier dirigeant dans le plus grand secret. Selon le projet de loi, le Conseil nommera le premier dirigeant selon la procédure établie par l’établissement mais cette procédure devra permettre l’égalité des chances des candidats provenant aussi bien de l’externe que de l’interne. Cette procédure se déroulera donc de façon indépendante et confidentielle. Pourquoi entourer le processus de nomination au rectorat de la plus grande confidentialité? Selon les travaux de M. Toulouse, afin d’obtenir la meilleure candidature possible et permettre à un éventuel candidat, provenant du secteur privé, de postuler sans alerter son employeur. Ce modèle ressemble beaucoup à celui de l’entreprise privée et fait fi de la culture des universités, habituée à plus de démocratie.

Le Conseil s’immiscera dans l’exécutif, dans la gestion quotidienne de l’université. Tout comme la loi 53, la loi 107 impose la formation de comités de vérification, de gouvernance et des ressources humaines. Le comité des ressources humaines jouera un rôle particulièrement important.

Il soumettra, pour adoption au Conseil, les politiques des ressources de ressources humaines et en assurera le suivi. Faut-il comprendre que ce comité et le Conseil vont se substituer à des instances institutionnelles?

Ce comité proposera pour adoption au CA les barèmes de rémunération et les autres conditions de travail des employés et des membres de direction de l’établissement. De plus, ce comité déterminera les mandats des négociations collectives. Le comité des ressources humaines ne risque-t-il pas de s’immiscer dans le processus négociation et d’application de la convention collective?

Cette centralisation des pouvoirs aux mains du conseil inquiète. La disparition d’instances qui réunissent majoritairement des membres de la communauté constituerait une autre attaque à la collégialité. Puisqu’une plus grande collégialité serait souhaitable à toutes ces instances, concentrer la prise de décision au seul conseil ne représente sûrement pas une piste de solution pour une meilleure gouvernance. La complexité du système universitaire ne peut se permettre une telle simplification des organes de décision. C’est une vision à très court terme qui est ici proposée, une sorte de gestion opportuniste qui n’aura jamais les moyens de prendre en compte sérieusement la vision globale et à long terme des missions de l’université.

Imposition d’une culture du Rendement

Tout le chapitre 4 de la loi 107 porte sur la reddition de comptes. Dans le futur, le conseil devra produire une série de rapport. On ne peut que souligner l’importance de la reddition de compte quand il s’agit d’organismes publics subventionnés en grande partie par l’État. Mais la reddition de compte ne doit pas se limiter à la seule collecte d’indicateurs et de résultats quantitatifs annuels. Il faut rappeler que le gouvernement du Québec collige déjà ces divers indicateurs lors des auditions annuelles à la Commission parlementaire de l’éducation. Néanmoins, il ne suffit pas d’obtenir l’information, il faut en faire le suivi, que ce soit au sein de l’université ou au gouvernement. En fait, le projet de loi ne traite pas du problème crucial vécu dans les universités, soit la transparence du processus budgétaire.

Le vérificateur général du Québec souligne que l’information fournie dans les états financiers des universités québécoises sur les contributions interfonds n’est généralement pas suffisante pour que le lecteur puisse saisir l’effet de celles-ci sur les surplus ou les déficits d’exploitation du fonds de fonctionnement. Il en est autrement dans les états financiers des universités canadiennes que nous avons examinés et dans lesquels une note explique de façon détaillée l’utilisation prévue de ces contributions. L’interprétation de l’information financière inscrite dans les états financiers des universités québécoises devient ainsi très difficile. (Vérificateur général du Québec , page 2, alinéa 9)

Pour nous, une réelle reddition de compte doit se traduire par plus de transparence dans le processus budgétaire, car, en cas de coup dur, c’est l’ensemble de la communauté universitaire qui écope des dommages.

Pour une gouvernance transparente axée sur la collégialité

Les projets de loi, validés par les travaux de M. Toulouse et du groupe de travail, cherchent à imposer à l’université un modèle de gouvernance emprunté au secteur privé, modèle qui serait supposément mieux adapté aux missions spécifiques des universités. En quoi un tel changement dans la composition du conseil et une plus grande centralisation des pouvoirs aux mains des membres du conseil seraient-ils garants d’une saine gestion?

Le projet de loi oublie que la formation, la création et la recherche ne sont pas des biens usuels. Rappelons qu’une université ne cherche pas à faire des profits, son rôle est de transmettre et de produire des connaissances afin de former des citoyens responsables.

L’université n’est pas une entreprise privée et elle ne doit pas être gouvernée selon des principes empruntés à ce secteur. Selon la FNEEQ, l’ensemble de la communauté doit être partie prenante dans tout le processus décisionnel. La collégialité doit demeurer au cœur de la gouvernance universitaire, car elle s’inscrit dans une longue tradition qui a fait ses preuves.

C’est ainsi que sont assurés la légitimité et la qualité des décisions. Il ne faut pas l’éroder mais au contraire chercher à la renforcer pour le bénéfice de l’université et de la société.

Pour nous, les conseils d’administration de nos universités doivent répondre non seulement à une poignée d’individus, mais à l’ensemble de la communauté universitaire ainsi qu’à la société en général.

Marie Blais, chargée de cours à l’UQAM et vice-présidente de la FNEEQ (CSN)

Le vendredi 27 février 2009