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Conflits dans les écoles privées: le ministre peut agir!

Lettre publiée dans le journal Le Devoir, le 18 octobre 2005

Au cours des derniers mois, trois négociations ont amené les directions d’institutions d’enseignement privées à avoir recours au lock-out privant ainsi de leurs cours près de 3500 élèves de niveau secondaire. Dans les trois cas, les parents qui avaient des enfants dans ces écoles ont interpellé Jean-Marc Fournier afin qu’il intervienne dans le dossier et qu’il mette fin au lock-out. Dans sa réponse aux parents, le ministre fait clairement savoir que, dans le cadre législatif actuel, il ne pouvait intervenir dans un conflit de travail intervenant dans le secteur privé.

Sans remettre en question le cadre législatif des relations de travail, nous croyons que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) peut et doit favoriser un meilleur encadrement du recours au lock-out et de la gouvernance générale des écoles privées subventionnées par l’État. Il lui suffirait d’imposer une structure plus démocratique au conseil d’administration pour les écoles qui veulent conserver leur reconnaissance d’intérêt public et l’agrément qui leur donne accès aux subventions de l’État.

Un modèle désuet

Pour bien saisir toute la pertinence d’un tel changement, il faut d’abord savoir que la quasi-totalité des écoles privées est des corporations à but non lucratif dirigées par un conseil d’administration. Bref, ce sont essentiellement des décideurs privés qui sont impliqués dans la gouvernance des écoles. Or, en vertu d’un agrément obtenu du MELS qui reconnaît l’intérêt public de ces institutions, celles-ci reçoivent des subventions de l’État. Le conseil d’administration de ces écoles privées se voit donc ainsi confier la gestion d’un patrimoine communautaire et la garde de l’intérêt public. La composition du conseil d’administration de telles écoles devrait refléter ces caractéristiques. Or, actuellement, il n’en est rien.

Le plus souvent, les conseils d’administration choisissent leurs membres par cooptation. Ce modèle de composition favorise la mainmise complète d’un très petit groupe d’individus sur les actifs et la destinée de ces écoles, sans qu’ils aient à rendre compte à quelque représentant de la communauté. C’est ainsi que l’on se retrouve avec des lock-out dont la légitimité est largement contestée par le milieu, car à aucun moment il n’a été possible pour qui que ce soit d’intervenir dans le processus de décision.

Nous savons également que certains conseils d’administration font tout en leur pouvoir pour garder intacte cette mainmise sur l’institution et préserver cette concentration du pouvoir dans l’école. Mentionnons quelques exemples: en rejetant systématiquement toute candidature en provenance de l’association de parents; en cherchant à limiter le plus possible le rôle de l’association de parents dans l’école; en refusant la création d’une association de parents; en refusant de réserver un siège à l’association de parents ou à un représentant du personnel. Le problème est sérieux.

Un modèle plus transparent

Pourtant, un modèle plus démocratique existe depuis longtemps dans certaines écoles privées et dans d’autres organismes à but non lucratif, comme les centres de la petite enfance. Il s’agit d’un modèle par délégation. Dans ce modèle, le conseil d’administration est composé de personnes nommées par des collèges électoraux des différents groupes qui composent la communauté d’intérêt autour d’une école : parents, personnel enseignant, de soutien et professionnel, milieu socio-économique, anciens de l’école, sans exclure les cadres bien entendu. Il s’agit d’un modèle communautaire où le partage équilibré du pouvoir entre les différents groupes offre une meilleure assurance de prise en compte des différents intérêts dans le processus de décision. Un tel modèle décentralise le pouvoir dans l’école et favorise la participation du milieu aux instances décisionnelles, ce qui permet une plus grande transparence de la gestion et une meilleure reddition de compte. Un tel modèle réduit considérablement la possibilité que quelques cadres puissent se conduire tels de petits barons autocratiques ayant l’habitude de mener leurs gens à la baguette.

Certes, ce modèle ne garantit pas qu’il n’y aura plus de lock-out dans les institutions d’enseignement privées, mais il permet un peu plus de concrétiser l’esprit des dispositions de la Loi sur l’enseignement privé (LEP) concernant les critères d’attribution de l’agrément aux fins de subventions: «Pour accorder l’agrément, le ministre tient compte notamment [de …] l’appui manifesté et la participation du milieu, […] la participation des parents à la vie de l’établissement, […] la conformité des objectifs de l’établissement aux politiques du ministre ou du gouvernement.» (LEP article 78). Compte tenu du caractère particulier des écoles privées et de la reconnaissance d’intérêt public qui leur est associée, considérant l’esprit du cadre réglementaire actuel et au vu des difficultés récentes autour du recours au lock-out, le ministre peut et devrait favoriser l’implantation d’un modèle plus démocratique pour la composition des conseils d’administration en faisant de ce modèle une condition obligatoire pour le maintien de l’agrément donnant accès aux subventions de l’État. Ce modèle favoriserait, dans un esprit de transparence et de partenariat, une réelle prise en charge par le milieu de la gouvernance de l’école qui accueille ses enfants. Ce type d’encadrement favorisant l’intégration de l’école privée dans sa communauté pourrait ainsi constituer un pas dans un rapprochement des modes de gouvernance des réseaux public et privé d’éducation.

Comme fédération syndicale enseignante, nous nous sommes toujours engagés, résolument et sans faux-fuyants, à défendre les 1800 enseignantes et enseignants membres de syndicats de la FNEEQ (CSN) qui oeuvrent dans le réseau d’établissements privés, tout en réitérant notre engagement en faveur d’un seul réseau d’éducation public pour toutes et tous.

Notre perspective vise une intégration au réseau public par conversion des établissements privés, et ce, avec le maintien des droits des enseignantes et des enseignants qui y travaillent. Mais entre temps, nous ne pouvons rester silencieux face à ces évènements qui heurtent la qualité du système éducatif du Québec. Nous demandons au ministre de l’Éducation, monsieur Jean-Marc Fournier, de faire le bilan des récents conflits de travail dans les institutions d’enseignement privées. Il y a un problème systémique concernant leur gouvernance qui met en jeu l’intérêt public et celui de la communauté locale qu’elles desservent.

Ronald Cameron

Président de la FNEEQ