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Vivre dans les bateyes

Le soleil, la plage et … la misère: l’autre République Dominicaine

Cojobal Bty-3_ALes Canadiens et les Québécois connaissent bien la République Dominicaine. Nous représentons un fort pourcentage des touristes fréquentant les « tout inclus », ces hôtels où l’on peut pratiquer farniente à l’abri de la population locale.

Santo Domingo, la capitale, n’a vraiment pas les allures d’une ville du tiers-monde. On y construit d’ailleurs un métro. Les routes sont belles. Les automobiles, toujours un bon signe de la richesse de la population, se divisent en trois groupes: beaucoup de luxueux utilitaires, beaucoup d’automobiles intermédiaires en excellent état et quelques bazous. L’économie, auparavant basée sur la production de cannes à sucre, s’est diversifiée, entre autres, mais pas seulement, avec le tourisme, pour faire de la RD un pays qui a plus des airs de richesse que de misère.

Après avoir vu Haïti, où j’ai travaillé à plusieurs reprises, après avoir circulé dans Cité Soleil, j’avais commencé à croire que la terre était vraiment plate… Parce qu’après Cité Soleil, ce terrain, grand comme quelques terrains de football, sur lequel s’entassent 500 000 personnes sans eau, sans électricité, sans égout, sans rien, sans tout, j’étais convaincu que la terre s’arrêtait là et que, si j’allais au bout de ce terrain, je tomberais dans des abîmes sans fond: on ne peut pas aller plus loin dans la misère me disais-je. Je me trompais. La terre est vraiment ronde. On peut aller en RD et trouver les bateyes (Bateye: C’est ainsi que l’on appelle les « villages » haïtiens en RD. Il y en a partout où il y avait de la canne à sucre à récolter) haïtiens, vestibules de l’enfer.

Un enfer qui a commencé il y a fort longtemps et qui a eu le support des gouvernements haïtiens (qui vendaient des travailleurs selon un accord bilatéral de 50 ans qui vient tout juste d’arriver à échéance) et dominicains, Cojobal Bty-6 A un enfer sur lequel tous les autres pays ont fermé les yeux et… continuent de le faire. Tant que l’industrie de la canne à sucre a prospéré, les haïtiens des bateyes ne pouvaient espérer qu’une chose: survivre en tant qu’esclave. Maintenant qu’ils sont sans emploi, ils ne peuvent qu’espérer… survivre. En effet ils ont échappé aux conditions de travail des plantations de canne à sucre: 12 heures par jour; 6 jours par semaine; payé au poids de leur récolte (les propriétaires allant même jusqu’à fausser les balances après avoir attendu que la canne sèche un peu, histoire d’en réduire encore le poids); sans service de santé ou d’éducation; devant pourvoir aux besoins d’une famille dont les propriétaires retiennent les femmes pour s’assurer de la présence des hommes !!!!

Cojobal Bty-4 -AC’est dans ce pays de bateyes que mon collègue, Jacques Grenier et moi, sommes allés pour évaluer un projet. Dans le bateye de Cojobal, dans la région de Monte Plata, existe un dispensaire installé dans un motorisé. Un médecin américain y dispense gratuitement des soins quelques mois par année. La population est sans emploi. L’organisme local qui nous reçoit, Batey Relief Association, que nous appelons BRA Dominicana, nous demande s’il serait possible de construire un petit bâtiment qui servirait de salle d’attente, de salle d’opération et de salle de consultation. Et, le plus important, on nous demande de construire des latrines attenantes. Un projet que l’organisme évalue, compte en main, à moins de 50 000 $. Il faut démolir un bâtiment (!) existant et reconstruire. Pendant que nous discutons, le médecin sort de son motorisé et, nous prenant à part, nous dit qu’il a une demande à nous faire. Il nous explique qu’il existe un orphelinat au village voisin, Sabana Grande de Boya, où la couverture du dortoir coule. Et sachez qu’il pleut beaucoup en RD, surtout la nuit. Il nous décrit les conditions misérables des misérables dormant dans des lits trempés. Nous passons voir. J’évalue à 50 $ et à une journée d’ouvrage la réparation du toit. Ça tiendra 1 an ou 2.

Nous retournons à Santo Domingo, la plus vieille ville du Nouveau monde. Siège de la première vice-royauté des Amériques, de la première cathédrale, du premier hôpital C.C chiotte -1(construit entre 1503 et1508), du premier évêché, de la première université, de la première cour d’un « vice-roi et gouverneur des Indes » (celle de Don Diego Colomb, fils du grand amiral), du premier Tribunal royal créé en 1511 dont la juridiction s’étendait sur toutes les terres découvertes dans le Nouveau Monde, telle était Santo Domingo.

Dans ce pays, les Haïtiens vivent sans papiers. On ne leur reconnaît jamais la citoyenneté dominicaine, même lorsqu’ils sont nés en RD. Malgré la constitution du pays qui fait de toute personne née sur le territoire un citoyen à part entière, le gouvernement dominicain refuse d’accorder la citoyenneté. Pour ce faire, on explique le plus sérieusement du monde qu’une personne en transit au pays ne peut accéder à la citoyenneté. Un transit qui dure depuis 4 générations chez de nombreux habitants des bateyes.

Que faire ? Bien sûr l’aide humanitaire est importante et il faut qu’elle continue. Mais il me semble qu’un pays comme le Canada, dont les ressortissants représentent un pourcentage appréciable des touristes du pays, pourrait faire pression sur le gouvernement dominicain pour qu’au moins, on reconnaisse l’existence des bateyes. En effet, lors d’une conférence qui se tenait à Paris l’été dernier, les représentants dominicains ont quitté la salle lorsqu’un conférencier, un prêtre expulsé de RD pour avoir trop parlé, est venu raconté son expérience dans les bateyes.

Bonnes vacances au pays du sable blanc, du soleil et de la misère.

Louis Hallé