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Argumentaire pour le gel

À propos des droits de scolarité en enseignement supérieur

Le débat sur le dégel des droits de scolarité a marqué le début de la campagne électorale et continuera vraisemblablement à faire couler beaucoup d’encre au cours des prochaines semaines. Pour la FNEEQ, pas d’ambiguïté : l’éducation doit être considérée comme un droit et cela inclut l’enseignement supérieur. Dès lors, c’est un bien public, qui doit être financé collectivement.

À une certaine époque, l’enseignement secondaire était un privilège – qu’il fallait d’ailleurs souvent payer – réservé à une minorité capable de produire la petite élite dont pouvait avoir besoin la société. Les temps ont changé, l’éducation secondaire est devenue une nécessité, puis un droit. La mouvance sociale nous amène dans cette direction pour la formation supérieure qui, de la même manière, doit être en passe de devenir un droit. C’est un changement profond de paradigme, auquel participe activement le gel des droits de scolarité. Ce gel, dès lors, est un geste social proactif et un vecteur de changement, contrairement à l’image d’immobilisme que tentent d’en donner ses adversaires.

Le comité école et société encourage tous les syndicats de la FNEEQ à intervenir dans les débats sur cette question et propose ici un court argumentaire pour ce faire. Un argumentaire pour lecture, pour utilisation dans les discussions ou dans des lettres ouvertes, ou pour publication directe dans les journaux locaux.

1. Une question de principe : l’accessibilité au savoir et à la formation

Une éducation supérieure de qualité et accessible à tous, peu importe la provenance socio-économique des individus, c’est une responsabilité collective qu’a choisi d’assumer la population québécoise en 1968, choix qu’elle a réitéré en 1994. L’éducation, prise dans son sens large et dans ce qu’elle a de plus essentiel, vise à assurer le plein développement de l’être humain. Dans une société du savoir, il serait ironique qu’on songe à revenir en arrière.

L’allongement des études « normales » conduit nécessairement à réviser nos pratiques sociales à l’égard des étudiantes et des étudiants et on est forcé de constater que les études supérieures, malgré le gel des droits, sont encore inaccessibles aux jeunes des classes défavorisées.

Par ailleurs, l’abandon des études est souvent le lot d’étudiants de la classe moyenne, exclus du système d’Aide financière aux études, parce qu’ils ne sont pas assez « pauvres », mais qui en même temps ne sont pas assez « riches » pour assumer entièrement le coût de leurs études. Actuellement, l’accès à l’université n’est pas seulement limité par les aptitudes réelles des étudiants, mais aussi par leur capacité de payer la facture. Accepter de dégeler amplifierait ces problèmes et serait faire preuve, collectivement, d’un irrespect le plus complet envers une génération qui a besoin d’être soutenue et encouragée Certaines études, telle Franke-Ruta (2003) et celles de plusieurs associations professionnelles canadiennes, montrent que la perspective d’un endettement élevé conduit de nombreux étudiants à privilégier des champs disciplinaires spécialisés ou de types pratiques. La peur de l’endettement limite ainsi la liberté de choix des individus et par conséquent l’offre de service futur à la population.

2. L’éducation est un droit, non un produit qu’on achète

L’éducation doit être vue comme un droit fondamental pour tous les individus. Dès qu’on la conçoit autrement, on accepte le principe mercantile de l’utilisateur-payeur. Ce modèle a comme conséquence inévitable de créer un système à deux vitesses, qui pourra se reproduire dans d’autres secteurs, comme celui de la santé et ainsi, accentuer les inégalités.

Voilà toute l’importance d’une éducation accessible à tous et ce, à tous les niveaux scolaires, y compris l’éducation supérieure. Une personne instruite fait profiter de son savoir à l’ensemble de la société; avec davantage de gens instruits, les expertises se multiplient et permettent de répondre plus efficacement aux défis qui nous attendent. L’imposition de droits de scolarité élevés transforme l’éducation en produit, ce qui vient entre autres choses pervertir la notion d’une éducation de qualité, puisque, implicitement, on la soumet ainsi, elle aussi, au principe de la concurrence, de la valeur ajoutée et d’une qualité variable qu’on peut ou non se payer. Ultimement, seuls les individus fortunés peuvent profiter d’une éducation « haut de gamme » forcément plus chère.

Selon cette logique, l’éducation n’est plus un droit, mais un privilège. Dans un monde où l’éducation supérieure est de plus en plus nécessaire et ce, pour la survie même d’une économie fondée sur le savoir, il importe de ne pas exclure une partie de la population à cause de coûts trop élevés. Pour démocratiser l’éducation et répondre au défi de la rendre accessible au plus grand nombre, il faut réduire au maximum les droits de scolarité plutôt que de les augmenter.

3. L’équité passe par la fiscalité

Puisque l’éducation est un droit fondamental et un bien public, il faut prévoir, pour la financer, des moyens qui impliquent toutes les composantes de la société capables de payer. L’impôt progressif sur le revenu reste le meilleur moyen d’y arriver, puisque chacun contribue selon ses revenus. Signalons au passage que le pacte fiscal avec les entreprises pourrait être revu, au regard du profit qu’elles tirent d’une formation initiale qui s’allonge.

Les droits de scolarité sont une mesure régressive : plus l’étudiant est démuni, plus il devient difficile pour lui de payer ce qu’on lui demande. L’étudiant en provenance d’un milieu aisé par contre peut absorber sans difficulté les augmentations qu’on lui impose.

Plutôt que de chercher à imposer les droits de scolarité plus élevés, il faudrait voir à augmenter la progressivité des impôts. De 1988 à 1998, au Québec, le nombre de paliers d’imposition est passé de seize à trois, ce qui a eu comme effet de soulager les couches les plus aisées de la population. Un impôt davantage progressif permettrait un financement plus équitable de notre secteur de l’éducation. Finalement, il importe de signaler que celles et ceux qui bénéficient d’une formation universitaire vont largement rembourser, par une contribution plus importante à l’Impôt, ce qu’aura coûté leur formation.

4. La solidarité intergénérationnelle oblige au maintien du gel des frais

Les bas niveaux des frais de scolarité ont profité à quelques générations de citoyennes et citoyens depuis les années 1970, autant pour les jeunes que pour les adultes. Il s’agissait d’une philosophie sociale de promotion collective fondée sur le principe de la justice distributive. C’est la raison qui a justifié le choix de geler les coûts de formation.

La démographie québécoise est déclinante et notre nation est celle qui inscrit le moins de ses jeunes aux études supérieures au Canada. Si on dégèle les frais de scolarité et qu’on n’abaisse pas les autres frais afférents, la situation d’iniquité s’aggravera, ce qui correspond à une perte de solidarité entre les générations plus vieilles qui auront profité d’un système peu coûteux et les nouvelles générations qui devront s’endetter personnellement. C’est ainsi une partie de notre patrimoine collectif qui dépérira, tout en lançant le signe d’une régression quant à la conception du rôle de l’éducation dans notre société.

5. L’endettement étudiant est un fardeau pour le développement collectif

L’endettement est la principale cause d’abandon aux études supérieures et constitue une entrave à les entreprendre. Le régime des prêts et bourse n’est plus indexé au coût de la vie, et s’il distribue beaucoup de prêts, il accorde bien peu de bourses. Les étudiantes et les étudiants doivent s’adonner au travail rémunéré pour subvenir à leurs besoins primaires, ce qui occasionne l’allongement des études avant d’obtenir leur diplôme.

Un jeune couple vivant conjugalement additionne le poids négatif d’une dette qui peut atteindre les 75 000 $ et même davantage. Pendant leur scolarité, la plupart de ces jeunes n’auront accès qu’à des emplois précaires et mal rémunérés. En début de carrière, au bas de l’échelle salariale, les remboursements seront pénibles. Dans ce contexte, inutile de souligner que les perspectives d’avenir pour fonder une famille sont peu attirantes. Dans la situation actuelle, l’État doit payer les retards de remboursement aux banques et racheter les mauvaises créances, pour un montant annuel qui dépasse les 35 M$ depuis dix ans. Les dettes personnelles deviennent ainsi un fardeau collectif grandissant. Le financement adéquat de l’éducation est un investissement social qui ne peut s’accompagner d’un endettement insupportable pour les personnes. Le maintien du gel des frais s’impose, avec une révision majeure du régime des prêts et bourses.

6. L’augmentation des droits de scolarité n’est pas la solution au sous-financement

Le sous-financement chronique des universités et des cégeps est souvent invoqué par les tenants d’un dégel des droits de scolarité. Nous avons besoin de mieux financer l’éducation supérieure, disent-ils, faisons payer celles et ceux qui en profitent !

Si pressés de faire des comparaisons avec les universités canadiennes pour mettre en lien droits de scolarité et fréquentation, ces ténors du dégel oublient de mentionner que la situation financière des universités n’est guère plus brillante dans les autres provinces et ce, malgré des droits de scolarité plus élevés.

La raison en est simple. Les droits de scolarité ne comptent que pour une petite partie de leur budget global (entre 10 et 15 %) alors que la massification de l’enseignement supérieur ainsi que les développements technologiques, ont généré peu à peu des besoins de financement d’une tout autre ampleur.

La situation est simple : nous entrons dans une ère où les besoins de formation seront dramatiquement plus élevés qu’avant. La réponse à ces besoins ne peut se résumer à des aménagements plus ou moins marginaux et à ce titre, le dégel des droits de scolarité ne règlerait pas le problème. Un vigoureux changement de cap est nécessaire et le vrai leadership politique, pour nos gouvernements, consisterait à envisager des solutions sociales, plutôt que de faire semblant d’avoir du courage politique sur le dos des étudiantes et des étudiants.

7. Il est normal de payer ses études universitaires, parce qu’on en tire un bénéfice personnel

C’est ici toute la logique de l’utlisateur-payeur qui se déploie… et qu’invoquent si souvent les pourfendeurs des services publics.

On ne peut nier le fait que la poursuite d’études universitaires procure des avantages personnels futurs. Mais c’est surtout collectivement que nous en tirons des bénéfices. Des citoyennes et des citoyens plus scolarisés, en mesure d’assumer des emplois de meilleure qualité et pouvant contribuer financièrement et socialement au mieux-être collectif, cela profite à tous quelle que soit notre situation et ce, particulièrement dans un contexte de baisse démographique. La durée « normale » des études s’allonge, et il s’agit là d’une exigence sociale et non pas individuelle. Tout comme une société ne saurait se priver d’universités capables de soutenir le rythme et les exigences du développement des savoirs, elle ne peut par conséquent se permettre de ne pas y donner plein accès à celles et ceux que le parcours intéresse. Et nous gagnons à ce que ces jeunes et moins jeunes soient de plus en plus nombreux.

Il y a aussi une limite à voir l’éducation supérieure comme un investissement personnel. Cette perspective commanderait que chacun mette son argent et son temps dans ce qui est le plus rentable pour lui-même en termes de revenus futurs. Est-ce profitable socialement ? Plus le coût de l’accès à des études sera grand, plus il sera difficile de maintenir un équilibre entre différents champs disciplinaires, dont certains offrent un intérêt moins économique que social et culturel, contribuant ainsi à une meilleure connaissance de l’humanité. Nous devons donc nous assurer collectivement que les choix de chacun dépendent le moins possible de leur capacité de payer et le plus possible de leur contribution présente et future à une société plus juste et plus équitable. Pour préserver les lieux de haut savoir que sont les universités, leur indépendance, leur autonomie et la diversité des champs de recherche et de formation, il nous appartient d’y investir collectivement, indépendamment que nous les fréquentions ou non.

8. Le gel des frais de scolarité avantage d’abord les riches : faux !

Si l’on veut dire par là que le coût ne constitue pas une barrière aux études supérieures pour les mieux nantis, cela est probablement vrai. Mais c’est mal poser la question. Certains croient que c’est une question de justice sociale de faire payer plus cher aux riches les services qu’ils reçoivent. Mais les riches qui n’ont pas de jeunes à l’université ne profitent-ils pas du fait que les enfants des autres la fréquentent ? En fait, le gel doit avantager tout le monde et c’est en amont qu’on doit penser en termes de justice et de redistribution sociales, c’est-à-dire à la source par l’équité fiscale. Disons aussi, que les jeunes dont les parents sont fortunés, ne le sont pas eux-mêmes par simple association. Les parents n’assument pas nécessairement les frais de scolarité et de subsistance. Nous parlons ici de jeunes adultes. La meilleure façon de s’assurer qu’ils contribueront est de prélever sur les revenus là où il y en a. D’ailleurs, la frontière entre nantis, moins nantis et mal nantis, du point de vue de jeunes qui devraient assumer une augmentation de leurs frais d’études, est difficile à établir.

Indépendamment du gel ou non des frais de scolarité, on peut considérer que les études coûtent déjà plus cher aux moins fortunés : ils sont plus susceptibles de devoir s’endetter, ils doivent vivre dans des conditions souvent plus difficiles, ils sont parfois tenus d’allonger la durée de leurs études parce qu’ils doivent occuper un emploi le plus souvent précaire et mal payé. Il y a là un coût de renonciation qui peut en faire hésiter plus d’un. Une hausse de quelques dollars est plus difficile à assumer dans ce cas. L’accès aux études supérieures est un facteur de mobilité intergénérationnelle. Toute hausse des frais de scolarité ne peut que freiner cette mobilité ascendante que nous avons défendue au Québec depuis les années 1960, et dont nous sommes malgré tout encore loin.

9. L’augmentation des droits de scolarité ne nuit pas à l’accessibilité, puisque la fréquentation des universités où les droits sont plus élevés est comparable, voire meilleure qu’au Québec

Voilà un argument fallacieux, qui confond taux de fréquentation, accessibilité et profil des effectifs étudiants.

Nous vivons dans une société du savoir : 70 % des emplois créés en 2004 au Canada exigeaient des études post secondaires. Dans une telle société, les études supérieures apparaissent de plus en plus comme une nécessité, et non comme un luxe réservé à une petite élite. Dès lors, la demande pour des études universitaires est forte, particulièrement dans les facultés menant à des carrières prestigieuses et bien rémunérées. Cette demande est régulée, dans un système où les droits de scolarités sont bas ou nuls, par la valeur académique des étudiantes et étudiants qui souhaitent accéder à ces programmes. Dans ce contexte, augmenter les droits de scolarité ne conduit pas nécessairement à diminuer la fréquentation globale : la barrière financière ne jouant pas de la même manière pour tous, on peut assister surtout à un déplacement du profil des effectifs vers les mieux nantis, et non à une baisse nette de la fréquentation.

Ainsi, en Ontario, depuis la déréglementation des droits de scolarité en médecine, les effectifs admis sont restés les mêmes, mais l’inégalité par rapport au taux d’accès selon le revenu familial s’est creusée très largement. Les tenants du dégel disent que l’argent n’est pas la barrière principale à la fréquentation universitaire… drôle de raisonnement. Le fait qu’un obstacle ne soit pas seul justifie-t-il qu’on le rende plus important ?

10. La gratuité des études mène à la médiocrité des établissements

Les critiques du gel évoquent parfois la prétendue piètre qualité des universités « gratuites ». Cet argument est pernicieux, parce qu’il associe un problème réel (le sous-financement) à une fausse cause. Choisir de faire de l’éducation supérieure un patrimoine social, cela devrait signifier un financement approprié. Si ce dernier n’est pas au rendez-vous, on n’est pas justifié pour autant de se tourner vers une solution basée sur la logique marchande !

On choisit d’ailleurs avec soin les exemples : on signale le cas de la France, sans faire de distinctions ni de nuances, mais on ne parle pas des universités suédoises ou danoises, qui ont inscrit la gratuité scolaire dans un projet social qui fonctionne. En Finlande, tous les étudiants reçoivent 260 € par mois, indépendamment du revenu de leurs parents et tout comme en Suède et en Norvège, bénéficient de subventions au logement et d’allocations garanties. Les établissements d’enseignement supérieur sont financés en grande partie au niveau national.

Quand l’Institut économique de Montréal, réseau idéologique de droite, signale que le niveau actuel de financement hypothèque la qualité des services d’enseignement et de recherche des universités, il a raison. Mais ce constat ne justifie en rien le choix d’un correctif particulier, quand on devrait en examiner d’autres.

Par ailleurs, dans ce domaine, les travers de « l’excellence » méritent aussi d’être mentionnés. Si les universités britanniques se classent parmi les plus prestigieuses d’Europe, leurs diplômés figurent, eux, au palmarès des étudiants les plus endettés ! En conséquence nombreuses sont les facultés anglo-saxonnes qui peinent à élargir leur recrutement, alors que les interruptions d’études en cours de cursus se multiplient. Dans ce pays, la tendance à l’augmentation des frais ne risque-t-elle pas de diminuer l’effectif étudiant et de peser encore plus lourd sur la qualité de la formation et l’accès à la recherche ?